Courtes lignes... (+ PLUS)

Tambour battant...

C’était un de ces petits matins gris jaune pisseux, comme si les Dieux paillards et païens soignaient leur gueule de bois de la veille en urinant copieusement sur leurs créations terrestres.


Il était 8 heures 46 précis devant la vaste porte tambour encore close du Superhyper Incontinent. Le magasin venait à peine de lever la paupière métallique de son rideau que déjà une bonne dizaine de vieillards acariâtres ayant outrepassés depuis longtemps leur date de péremption, refusant de disparaître raisonnablement en préférant pourrir avec acharnement l’existence des autres, se pressent et se compressent devant le quartier libre de l’huis à rayons tournants.
Et ça piaille et ça ronchonne ! Et ça maugrée et ça grommelle ! Et ça couine et ça stridule !
--- M’enfin donc ! Madame Turlupin ! faites un peu attention ! Votre caddie bloque mon déambulateur !
--- Elle est marrante celle-ci ! C’est votre sac à main qui s’est coincé dans la roue de mon chariot !
--- Monsieur Glaviot ! Rangez votre canne ! Vous allez blesser quelqu’un !
--- Comment ?
--- Vous fatiguez pas m’dame Michu, il est sourd comme un pot !
--- Un pot à tabac, oui !
--- Hein ?
Heureusement la désagréable cacophonie des centenaires en herbe est interrompue par un autre grincement. Celui de la levée de la grille de l’entrée circulaire, ultime rempart à leur soif de consommation sans sommation.
Mais déjà de nouveau à petits pas comptés, ça râle et ça radote…
--- Monsieur Carrière ! C’est pô Dieu possible ! Vous m’empêchez d’un trait de passer ! Vous avez encore grossiste depuis le ventre d’hier ! Vous prenez une place, on s’y met à trois !
--- nan mais dites donc, Madame Surdisse ! Je ne vous cause pas de la carpette vivante qui me boulotte les chevilles et que vous vous obstinez à trainer en laisse !
--- laissez tomber, Carrière ! Ces mégères ne sont toujours pas apprivoisées ! Parce que moi chez moi ! La Madeleine, elle filait droit !
--- Ben voyons bien-sûr , Cazottes ! Avec vos 50 kilos tout mouillés, c’est vous qui dirigiez la manœuvre avec une madeleine de 130 ! Elle est bien bonne ! Même si elle fait pas le ménage !
--- Je ne vous permets pas, madame Fernandez !
--- Pas grave ! Je m’autorise toute seule ! Et c’est pas votre acolyte anonyme monsieur Boultrou, qui va y changer quelque chose !
--- Pffff…les femmes ! Ca devient désespérant en vieillissant…
--- Mais il s’est regardé le mort vivant ! Vous les mâles, un gorgeon de rouquin et la messe est dite ! Pas vrai, monsieur Bouchaud ?
--- ca va aller, Clarisse ! oublie ces bougons ! La porte bouge, on a nos courses à faire, on les retrouvera aux caisses !
En effet, la porte à tambour s’ébranle du chef alors que ses quartiers de génisses inciviles et de crapoteux grabataires ont empli de leur pépin son sein.
Alors les pieds fatigués tentent de suivre péniblement la vitre de vent de face en essayant de ne pas se faire rattraper par la glace mobile qui les chasse par l’arrière. On frôle les troubles du compartiment…
Car si elle tourne la porte, elle tourne vite. Un peu trop vite pour les compas rouillés des matrones daronnes et des barons marrons quoi forgent la force psychorigide de la droite limite extrême et conservatrice sans congélateur. L’attroupement bousculé ressemble à un battement de fossile…
Et hop !
Une première sortie de ratée C’est perdu !
Les vieux pieux essaient de se raccrocher à la bretelle, mais ceinture !
Et hip !
Pour un tour de manège qui déménage c’est gagné !
On entend guère plus que quelques bribes abattues de récriminations haletantes :
--- C’est scandaleux ! Pour des personnes âgées…
--- Ils vont m’entendre !
--- Pas demain la vieille qu’ils me reverront !
Décollant des manivelles, les mamies volent. Le sol fuit de plus en plus rapidement sous leurs chaussures, c’est comme courir à rebours sur un disque géant pour ne pas s’emplafonner le bras de l’électrophone !
Roulez petits bolides !
La porte folle prend toujours plus de vitesse. Elle fait sévérité dans la célérité. A l’intérieur, c’est un enchevêtrement de chair et de vêtements qui hurle et se déchire. Plus personne n’est debout, fauché puis ramassé à la pelle par la voilure balai de la pale cruelle. La moissonneuse se fait abbatteuse.
Des cris. Inhumains
--- Stoooop !
--- Arrêtez !
--- Pitié ! Au secours !!!!
La porte reste sourde au rail. Au contraire, elle accélère un peu plus encore, de manière notable.
A cette vitesse impressionnante, les dégâts des os sont déjà irréparables…qui paiera la fracture ?
Mais la porte meurtrière continue à augmenter considérablement son rythme échevelé. Malaxant à l’envie pépés et mémés pêle-mêle, mine de papys mâchés et moule de mamys gâtées.
Un ultime hurlement du dernier cri :
--- Sécuritéééééééééééééééé !
La porte s’est faite tourbillon, tambour de machine à laver. Elle est centrifugeuse tournoyant à une telle vitesse qu’on n’aperçoit plus ses parois internes…
Plus loin mais pas tant. Plus haut mais patent. Le poste de sécurité.
Dans le centre de contrôle du giga-magasin, face à l’écran qui ne rate pas une miette du typhon de l’entrée, deux techniciens devisent tranquillement :
--- Nous passons à 10 000 tours/ minute pour 500 secondes d’essorage !
--- Parfait ! Nous enverrons ensuite le filtre pour cribler les sacs et les vêtements !
--- Le camion de livraison arrive dans quinze minutes, je préviens l’équipe de pompage et de récupération pour la vidange !
--- Nickel groom ! Dès la fin du dépotage, j’envoie l’équipe de nettoyage ! On sera prêt à l’heure pour l’ouverture du magasin !
C’est ainsi qu’une demi heure plus tard, un camion quittait discrètement le quai de chargement des poids lourds vers la ville toute proche. Un semi remorque à citerne sur lequel on pouvait lire : « Soupe populiste ».







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