Courtes lignes... (+ PLUS)

histoires Courtes. L'arachné juvénile

C’était une petite araignée de rien, chitineuse trop ch’tite pour être un jour appelée à régner. Elle était vouée à entoiler les recoins de plafond pour accumuler de la poussière et gober quelques maigres cuisses de mouche.

Pour autant, sa prétention était démesurée par rapport à son allure chétive et insignifiante.
Rien à faire, elle voulait faire peur ! Semer le trouble et la crainte quitte à provoquer le dégout ! Elle se voyait et se voulait grosse immense, affreuse imposant ses affres. Faire frissonner ces arrogants humains qui snobaient son invisible présence.
C’est pourquoi elle passa un pacte avec la lumière électrique du salon ou elle avait élu domicile.
Ainsi, en passant devant le filament incandescent de son firmament artificiel, tel la pellicule d’un film d’horreur projetée sur la toile blanche d’un écran de cinéma, elle délivra sur le mur immaculé une ombre sombre, gigantesque et menaçante, spectre tentaculaire démesuré autant qu’angoissant. Micro tisseuse anonyme du matin chagrin devenue glorieuse chasseuse géante du soir espoir…
Elle s’imprimait sur l’ensemble de la paroi livide de terreur muette, tel un abominable poster qui lentement s’étalait en horrible tache d’encre, étirant ses longues pattes velues autour de son corps difforme et repoussant.
L’effet était saisissant, la comblant d’aise et ne laissant pas les habitants de la maisonnée indifférents…
Un brutal tressaillement di corps en sursaut du cœur pour les hommes, un strident cri d’effroi qui glace le sang pour les femmes. Paniquée, la maîtresse des lieux en avait même laissé choir le plateau fumant du petit déjeuner sur le tapis désorienté. Quand au maître de céans, grimpé sur un escabeau boiteux en équilibre sur le bottin du coin, il crut déloger le monstre velu mais combattant de ses moulins avant une ombre fugace il fut victime des lois de la gravitation terrestre pour finir les jambes en équerre un mois dans le plâtre en maison de redressement !
Car une fois hors du prisme lumineux l’ignoble petit monstre restait introuvable malgré les recherches assidues et la traque déterminée lancées contre elle.
Ah ! Elle s’éclatait l’araignée naine en jouant avec leur arachnophobie latente mais résurgente ! Enfin, elle était connue et reconnue à sa juste valeur, estimait –elle.
Las…
Tout a une fin, et surtout les meilleures.
A force de se faire allumer, sa lumineuse alliée l’ampoule de luxe s’est faite grillée.
Abat jour tout le monde !
Mais notre araignée miniature n’en a cure. Oubliant qui elle est, faisant de sa taille un détail, elle continue son numéro d’intimidation sans le halo en poursuite, aveuglée par sa propre lumière ; elle a perdu tout sens des réalités.
C’est la plus jeune des enfants de la maison qui l’a découvre à fanfaronner au pied de la lampe de chevet. En deuxième année de maternelle supérieure, c’est l’âge béni de toutes les découvertes :
« Oh ! Tite araignée ! Qu’est-ce que tu fais là ?...Mmmm…T’es pas jolie, toi ! T’en va pas ! ou tu vas ? Attend ! »
Mais l’adresse n’est pas le fort de nos plus jeunes années…
Paf !
Sans le faire exprès, en voulant entamer la poursuite avec la bébête à huit papattes, le petit peton de la môme s’abat sur le minus corps qu’elle transforme instantanément en tâche immobile, mettant fin au fantasme de pouvoir et d’épouvante de l’insecte, pour vaquer la foulée suivante à d’autres occupations plus importantes, oubliant déjà le frêle cadavre recroquevillé sur la moquette qui finira dans la fosse commune de l’aspirateur fossoyeur.



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