©

CHAOS TECHNIQUE...

L’uppercut mal lu percute la pointe du menton une seconde offerte. Ca fait Flash, puis tilt ! Game over ! Plus de son, plus d’images !


Les neurones soudain liquéfiés en compote pour bébé, il s’écrase lourdement sur le tapis rugueux du ring, tel une marionnette désarticulée dont on vient brutalement de couper les fils.
Sa chute maladroite de carlingue d’avion privée de cockpit finit par le crasher sur le sol comme une défécation de mouette moqueuse sur le front du badaud tête en l’air.
Un !
Hein… ? L’encéphale plein d’étoiles scintillant tel un bouquet de feu d’artifice, il gît là , en complet désordre, bavant une salive sanguinolente, le nez planté dans les mocassins de l’arbitre. Les yeux vides, il ne voit plus rien. Il entend vaguement la houle sonore de la foule qui l’encourage ou l’invective, mais peu importe ; de la réalité il est momentanément déconnecté…
Deux !
Non. Ni une, ni deux. Il ne parvient plus à rassembler les parcelles de son cerveau éclaté contre son crâne cabossé. Insidieusement, sa pensée s’enfuit en filet d’hémoglobine par les oreilles, mauvaise copine ! mais il s’en fout même s’il se sent flou, il est bien, il ne ressent plus rien à l’intérieur comme à l’extérieur…
Trois !
Le fil de sa vie défile et se déroule devant ses paupières closes et tuméfiées. . Il est né à Troyes, troisième rejeton d’une tribu de sept enfants. Pour échapper à la grisaille de l’usine après avoir fuit le tableau noir des écoles, il s’est lancé dans à cœur perdu dans la boxe ; lui le castagneur du samedi soir qui fêtait ses victoires imbibées dans les cellules de dégrisement du commissariat de quartier…
Quatre !
Comme les marches de la gloire, qu’il croyait gravir ainsi. Quatre à quatre. Ou plutôt comme les minables managers de sous préfecture ; vulgaires maquereaux du noble art, voulaient lui faire croire. C’est le temps des victoires sans saveur contre des anonymes régionaux eux aussi en quête d’une pseudo reconnaissance. Un ultime combat au niveau national terminé en match nul qui porte si bien son nom, en fait enfin un challenger crédible pour la marche supérieure…
Cinq !
Deux plus trois. Sa smala. Sa femme, lui et ses trois enfants. Et leur modeste pavillon dans la banlieue de Sète. Cinq à Sète. Pour un rendez-vous avec la fortune et la renommée. Une famille sans histoires, qui ne criait pas famine ni ne roulait sur l’or d’une faste mine. Une vie banale fête de grandes heures et défaite de petits malheurs…
Six !
Comme le nombre d’obscures batailles que ses poings ont disputé pour enfin prétendre au titre européen, ce soir, ici même, dans la capitale lumière. Et ça bourdonne dans sa pauvre timbale difforme comme si une ruche emménageait dedans. Et ça bourdonne dans la salle surchauffée en clameur diffuse ou se mêle toujours les mêmes encouragements chaleureux et autres invectives moqueuses…
Sept !
C’est le nombre de rounds déjà derrière lui, ce soir…avant qu’un poing féroce déguisé en autobus l’emplafonne de plein fouet ! Et le voilà dans la ouate du coma des mortels. A revisiter le film de sa médiocre existence par flash back scénique, tout en gardant difficilement pied dans la réalité du moment par bribes éparses et secousses réflexes comme autant de piqûre de rappel à la vie…
Huit !
Huit heures…Déjà ? Huit heurts du suaire. Hanté par les fantômes d’un paradis inaccessible bâti uniquement pour les vainqueurs. Poursuivi par les zombis d’un enfer si proche promis aux éternels loosers. Car en boxe comme dans l’existence, quand ça frappe il faut se trouver du bon côté des gants…
C’est une question de talent peut-être, de courage sûrement, de chance évidemment ! Aussi, comme lui, quand on a qu’un peu du premier et pas du tout du troisième ; il faut avoir du second à revendre !
Neuf !
Une occasion de manquée…Et le contre imparable ! Une pêche dans la poire et il bascule dans la salade de fruits. Gisant ici et las. Gros tas de chair grotesque, secouée par endroit par une respiration sifflante et saccadée qui se raréfie au long du décompte final.
Neuf. Une telle gifle mériterait réparation…Mais c’est compliqué de faire du neuf avec du vieux. 39 ans, usé par un parcours cahoteux saigné aux quatre déveines, que reste-t-il de neuf en lui à part le deuxième chiffre de son âge… ?
Neuf et demi…
Ses dernières illusions se perdent en même temps que sa conscience…
Son corps ne répond plus. Plus d’envie…plus en vie. Alors son cœur fatigué n’en fait qu’à sa tête et décide à son tour de s’arrêter…
Dix !
Out !
Plus de son…
Plus d’images…
10 aout…
Un bien beau jour pour mourir…

Références
Lien à insérer

Si vous citez cet article sur un site, un blog, un forum ou autre contenu web, utilisez l'adresse ci-dessous. Après validation par un administrateur, votre site apparaîtra ci-dessous comme référence.

Ils commentent à distance !

Pour l'heure, personne ne commente sur un autre site web.

Discussions
Pas d'avis pour “CHAOS TECHNIQUE...”
Participer à la discussion (Via le forum)

Vous devez être identifiés pour poster un avis



Mot de passe oublié