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Histoires courtes. La poupée assassinée.

C’était une énième patrouille de routine succédant à une énième fusillade répondant à un énième bombardement, dans l’ordre du désordre.

Les huit soldats déambulaient lentement tels des zombies fraîchement déterrés dans les ruines encore fumante du quartier…Enfin, de ce qu’il restait encore debout du quartier, car par la grâce assassine des drones ; pas de quartier !
Un brouillard opaque mélange de fumée et de poussière, transformait la patrouille en silhouettes incertaines ; gris foncé dans un décor gris clair.
A la tête du détachement, le sergent chef O’Connor n’était pas un mauvais bougre. D’après ses voisins fins psychologues comme seuls les citoyens mitoyens savent être, c’était même plutôt un brave type doublé d’un bon garçon. Un de ces petits gars dont une nation est fier de fleurir le ventre à l’occasion…
Mais depuis des semaines le sergent O’Connor n’allait pas bien. Il était sous tranquillisants arrosés d’une bonne démesure de bourbon, ou parfois sous perfusion de bourbon saupoudrée d’une dose massive de tranquillisants. Mais rien n’y faisait. Le sommeil du juste s’était enfui à jamais. C’était à peine s’il dormait deux heures par nuit, restant éveillé les yeux écarquillés dans l’obscurité à veiller les fantômes de ses camarades moins chanceux qui l’avaient quitté, comptant et recomptant inlassablement les cadavres dépouillés de leur vie qui devant ses yeux enfiévrés défilaient en formant d’outre tombe l’armée. Et puis il y avait aussi , dizaines par centaine, les ombres sans noms de tous ces civils anonymes, hommes femmes enfants vieux jeunes, dont il découvrait jour après jour, attaque après défense, vengeance après répression, les corps éparpillés dans les décombres de leur maison ou de leur rue. Le pire c’était les jours de marché si un illuminé décidait de venir se faire sauter pour transformer les maigres étals en baraques à frites dans un morbide et mortifère feu d’artifice…
Alors pour oublier O’Connor marchait. Pas pour avancer, juste pour remuer. Comme un robot programmé pour poser une Ranger devant l’autre et ainsi de suite dans un pas mécanique dénué de toute intelligence fusse-t-elle artificielle. Surtout ne pas penser, ne pas réfléchir, ne pas se faire rattraper par la hideur de la quotidienne tragédie qui perdurait et s’étirait vers l’éternité.
Alors pour s’occuper O’Connor cherchait d’éventuels morceaux de survivants, des veinards concassés trop heureux d’avoir échappés ce jour-là au tirage au mauvais sort de la tombola de la mort, obtenant ainsi un aléatoire sursis pour leur fragile épiderme. Du bout du canon de son fusil mitrailleur il soulevait non sans dégoût et appréhension les gravas de l’ex cité en puzzle fragmenté, trop souvent pour croiser un regard vitreux qui ne le voyait plus…
Contrairement à ce que croient ceux qui ne savent rien mais expliquent tout ; on ne s’habitue jamais à la mort. On cohabite par force nécessité, mais peu à petit ; elle squatte votre cerveau pièce par pièce, elle gangrène vos pensées, elle vous phagocyte neurone par cellule jusqu’à lui appartenir cœur et âme…Elle vous appelle vous aimante, vous séduit et vous attire dans ses filets de nuit éternelle telle une araignée du grand soir sans espoir…
Aussi pour repousser l’échéance fatale des ténébreuses avances sans retour, il restait le bourbon et les cachetons…Même si finalement ce n’était qu’un moyen détourné de l’éviter pour mieux la retrouver. Disons que ça permettait de gagner du temps en se perdant…Même si au baisser de rideau, c’est toujours elle qui emporte le morceau !
O’Connor morne vivant, ressassait ses noires idées tout en fouillant les décombres informes et débris infâmes, priant mentalement pour ne trouver que plâtre et pierre, tuile et ciment.
Mais dans ce monde de déments dessiné par des instances supérieurement raisonnables pourtant, l’horreur t’attend si souvent au tournant…
Entre deux tôles transpercées d’impacts, il aperçoit un morceau de robe en laine déchirée.
Glacé de terreur, la nausée au fleur de bouche, le ventre tenaillé, il soulève délicatement la plaque ondulée pour découvrir…une poupée.
Si jolie poupée. Fine et élégante, gracieuse et délicate avec ses longues couettes blondes et sa belle robe bleue. Comme le ciel. Comme ses yeux. O’Connor a un violent choc car il la connaît, cette poupée.
C’est fou ! Insensé ! Impensable et impossible…mais qu’est-ce qui est réellement impossible dans cet univers de cauchemar et de folie ?
Cette poupée a un petit défaut à la main gauche, mordillée au dessus d’un bracelet de montre fictive…victime d’un coup de dent colérique et rageur de sa petite fille Jenny. Jenny qui un jour de collecte a offert sa poupée pour consoler les enfants subissant la guerre, les orphelines dont les parents sont tombés sous les coups de leurres félons…
Pour autant la violente surprise, ce n’est pas la poupée retrouvée ici par le plus improbable des hasards qui tétanise O’Connor…C’est bien évidemment le petit corps gracile et sans vie blotti tout contre le jouet serré sur sa juvénile poitrine qui ne bat plus…
Cette petite fille inconnue, si magnifique et belle, mais au regard vidé de vie, perdu dans les invisibles nues…
Poupée et enfant toutes deux percés d’un même trou noirci sur le ventre de plastique fondu, sur le ventre de chair calcinée…Une douille témoin écrasée à côté confirmant qu’il s’agit d’une balle amie…une balle amie…amie, ennemie…haine mie !
Jenny !!!
Bien sûr ce n’est pas sa fille…mais ça se pourrait ! Un jour ou l’autre ! Il suffit qu’un Etat se fâche avec le sien pour lui déclarer la guerre comme on déclare son amour…
Cette putain de guerre qui ne finira jamais tant qu’il y aura un homme debout, qui a tant de noms, de lieux, d’époque, de combattants,de raisons et de causes différents mais qui est toujours bien la même…cette salope de guerre qui continuent à tuer des enfants parce que les adultes ne peuvent pas se supporter !
O’Connor hurle ! Fou de douleur il s’est relevé d’un bond en lâchant le petit corps de jolie gosse privée de futur à présent. Il a hurlé dans un cri de rage si longtemps refoulée. Puis il a fait sauter de son arme automatique, le cran de sûreté. Il s’est retourné vers ses camarades interloqués et inquiets pour la santé mentale de leur sous officier.
Il a tiré. Sans vouloir jamais s’arrêter. Son chargeur, il a vidé en arrosant ses co-équipiers de bourbier. Les abattant tous jusqu’au dernier.
C’est ainsi que les secours l’ont retrouvé…
A genoux tête baissée, prostré. Depuis longtemps la raison l’ayant définitivement abandonnée.

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